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Bulletin Quotidien Europe N° 12386

10 décembre 2019
Sommaire Publication complète Par article 35 / 35
Kiosque / Kiosque
N° 005

Paris-Berlin – La survie de l’Europe

Au travers de cet ouvrage, Edouard Husson, historien et germaniste, professeur à l’université de Cergy-Pontoise, où il dirige l’Institut franco-allemand d’études européennes, tente d’expliquer l’Allemagne aux responsables politiques français qui ont bien du mal à la comprendre. En partie, sans doute, parce que l’histoire politique des deux pays diffère fondamentalement, aboutissant à une hypercentralisation et une présidentialisation du régime pour l’un, tandis que son partenaire s’inscrit dans une tradition de morcellement et une logique d’intégration fédérale. Mais, plus encore, par une forme de romantisme qui voue une admiration démesurée au modèle allemand, lorsque la peur du géant allemand ne l’emporte pas. Avec un regard incisif et lucide, nourri d’une profonde connaissance de l’Allemagne, de sa culture et de sa politique, mais aussi de son expérience et de ses rencontres, l’auteur décrypte la réalité allemande et dresse les portraits des responsables politiques, au premier rang desquels l’inévitable Angela Merkel, mais aussi celui du pape émérite Benoit XVI, qu’il compare à la chancelière dans son incapacité à assumer le leadership politique.

« Pour la prospérité de l’Europe, il est impératif que les Français réapprennent à regarder l’Allemagne. Il est légitime de vouloir relancer le partenariat franco-allemand et consolider la coopération européenne, à condition de ne pas laisser perdurer ce qui est devenu un dialogue de sourds », estime Edouard Husson, en regrettant que le président Macron n’ait pas compris que la relance de l’union économique qu’il proposait, certes indispensable, n’était pas opportune dans un contexte allemand marqué par l’ordolibéralisme et l’affaiblissement de la chancelière. Pire, « en refusant de se plier au principe des Spitzenkandidaten (lors des dernières élections européennes : NDLR), qui avait été décidé avant son élection à la présidence de la République, le président français s’est aliéné en profondeur l’estime de l’opinion publique allemande, qui y voyait une amorce de démocratisation de la construction européenne ».

Aussi humain et généreux qu’il soit, « l’accueil sans restriction, en 2015 et 2016, d’un million de réfugiés et migrants (conduit l’Allemagne à) voir ses forces absorbées à nouveau pour deux ou trois décennies ». « C’est comme si elle s’était mis une nouvelle « réunification » sur les bras », estime Edouard Husson, qui est très critique face à cette décision cavalière, prise de manière intempestive et solitaire par la chancelière, non seulement parce qu’elle a produit des tensions internes, notamment avec une nouvelle progression de l’AfD, mais aussi parce qu’elle conduira l'Allemagne, dans les années à venir, à se détourner du processus d’intégration européenne pour se concentrer sur ses intérêts nationaux.

L’auteur appelle à regarder l’Allemagne telle qu’elle est, loin des leçons de bonne gestion financière et budgétaire qu’elle prétend donner à tous ses voisins. Ainsi, « Angela Merkel, qui a grandi dans l’opacité du système communiste est-allemand, s’est trouvée très à l’aise, durant les années de crise et après, pour camoufler de toute son autorité de chancelière la réalité du sauvetage des banques allemandes aux partenaires français et au reste de l’Union européenne », alors que la recapitalisation des banques allemandes a coûté 250 milliards d’euros, souligne Edouard Husson. Pire encore, « à l’été 2019, la Deutsche Bank a une capitalisation boursière de 12 milliards d’euros, mais ses engagements hors bilan sont de 60 000 milliards, soit plus de trente fois la dette publique allemande. L’action qui valait 105 euros en 2007, à son sommet, ne vaut plus que quelques euros. C’est-à-dire que cette grande banque allemande est une véritable bombe placée au cœur du système financier mondial. Elle est l’objet de plus de mille enquêtes différentes à travers le monde pour des opérations éventuellement frauduleuses. Rien qu’en 2015, la Deutsche Bank a dû payer 2,5 milliards d’euros d’amendes aux États britannique et américain « pour avoir activement contribué au déclenchement de la crise de 2008 », rappelle Edouard Husson. Et d’ajouter : « Le seul exemple de la Deutsche Bank devrait dissuader les responsables allemands de faire la leçon, comme ils en ont trop souvent l’habitude, à d’autres pays et gouvernements. Il devrait persuader les responsables français qui négocient et travaillent régulièrement avec l’Allemagne de prendre avec du recul l’argumentation allemande sur les bons et mauvais comportements au sein de l’Union européenne. Non pas que les Français n’aient rien à se reprocher, en ce qui concerne leur secteur bancaire ou financier. Mais il n’y a pas d’un côté la vertu allemande et de l’autre ces ‘dettes’ (Schulden) qui, en allemand, de façon significative, désignent aussi des ‘fautes’ ».

Pour tordre le cou au prétendu « modèle allemand », Edouard Husson souligne aussi la montée des inégalités et de la pauvreté en Allemagne, rappelant qu’entre 1995 et 2009, la part des salariés à faible rémunération est passée de 15% de l’ensemble des effectifs à 36%. Depuis la réunification, la proportion de pauvres a presque doublé. L’accroissement a été très important pour les familles avec enfants, dont presque un cinquième vivent en dessous du seuil de pauvreté.

« La France et l’Allemagne font fausse route lorsqu’elles tendent à nier la diversité européenne, à vouloir uniformiser à outrance les règles et les pratiques ; au contraire, les périodes de convergence franco-allemande se produisent lorsque Berlin ne cherche pas à imposer ses normes à l’Europe et quand Paris prend des distances avec le biais centralisateur de son Histoire », affirme l’auteur. Selon lui, il serait temps, à Paris, de cesser de se plaindre d’une Allemagne que l’on a soi-même placée, dans les années 1990, en position de conduire les affaires, en prônant la création d’une monnaie européenne et en acceptant pour ce faire les normes imposées par l’Allemagne, sans obtenir la constitution d’une réelle union économique. Et d’ajouter : « On devrait arrêter de faire la leçon aux autres, tout en ne respectant pas les critères budgétaires définis en commun, s’abstenir de penser que la France est seule à combattre pour la construction européenne dans un environnement de plus en plus égoïste. Enfin, il faudrait renoncer à prôner toujours plus d’intégration, quand il s’agit d’huiler les rouages existants qui se grippent. Et il serait improductif de tenir une attitude « punitive » vis-à-vis de Londres et du Brexit, alors que nous avons besoin d’une coopération européenne plus large ». Si l’auteur a raison de dire que le face-à-face franco-allemand est difficile et qu’il ne peut y avoir un tel duopole à la tête de l’Europe, le bon fonctionnement de l’Union nécessitant un partenariat plus large entre plusieurs États, il semble accorder trop de place aux nations et surtout réduire l’Union à une organisation de coopération, ce qu’elle est malheureusement devenue dans l’esprit de beaucoup.

L’ouvrage formule encore une série de recommandations aux dirigeants français dans leurs relations avec l’Allemagne, à savoir : (1) le Premier ministre français devrait devenir l’interlocuteur le plus fréquent des chanceliers allemands, estime Edouard Husson en partant du principe que le président de la République est élu au suffrage universel, alors que le chancelier est d’abord le chef d’une majorité parlementaire ; (2) il faudrait sortir d’une vision top-down des relations bilatérales, qui correspond au modèle français, pour développer le dialogue parlementaire bilatéral, renforcer la participation des députés européens français aux travaux du Parlement européen où ils se font autant remarquer par leur absentéisme que leurs homologues allemands par leur assiduité, et encourager un travail systématique des régions françaises avec les Länder allemands ; (3) dans les négociations bilatérales, Edouard Husson appelle les responsables français à élaborer soigneusement leurs exigences et à ne plus en dévier.

Olivier Jehin

 

Edouard Husson. Paris-Berlin – La survie de l’Europe. Gallimard. ISBN : 978-2-07-285530-6. 404 pages. 23,00 €

 

Per salvare la democrazia in Italia

Dans son dernier livre, Fausto Capelli, avocat spécialisé dans le droit communautaire et ancien directeur du Collège européen de Parme, analyse l’état de la démocratie en Italie et propose des solutions pour que le pays puisse reprendre un rôle moteur dans le développement de l’unité européenne.

La première partie de l’ouvrage évoque le développement des concepts généraux d’éthique et de légalité en se référant aux principaux auteurs de l’histoire de la philosophie, de la science politique et du droit au fil des siècles. L’application de ces concepts à la politique et à l’économie, dans l’expérience des États démocratiques tels que les États-Unis d’Amérique dans l’œuvre d’Alexis de Tocqueville, est comparée aux développements que connaît l’Italie à partir de son unification au 19e siècle. Dans un langage d’une grande clarté, l’auteur souligne les obstacles historiques et culturels qui ont entravé un ordonnancement pleinement démocratique, compte tenu de l’influence de l’Église catholique et des dérives des partis politiques et des acteurs de la vie économique italienne à partir des années 1970-1980.

La principale valeur ajoutée de ce livre réside dans le fait que les connaissances approfondies de son auteur ne sont pas utilisées pour matérialiser un (énième) traité théorique, mais pour bien faire comprendre au lecteur les bases sur lesquelles le professeur Capelli propose des solutions, très réfléchies et concrètes, aux défis que la société italienne est appelée à relever, de la surbureaucratie aux liens entre politique et criminalité organisée, des difficultés budgétaires à l’immigration, en passant par l’évolution du système de santé publique ou encore la protection des biens culturels. Parmi ces propositions figurent notamment l’élection du président de la République au suffrage universel, l’introduction d’une incompatibilité entre mandat parlementaire et participation au gouvernement, ainsi que la pleine application de la réforme du bénévolat et des associations, qui constituent des outils précieux pour organiser la défense des intérêts des citoyens. Ce ne sont là que quelques exemples et nombre des recettes proposées méritent d’être examinées et pourraient être appliquées ailleurs qu’en Italie, dans un contexte où la démocratie est constamment menacée, voire trahie. Un livre passionnant qui offre de solides points de repère aux citoyens italiens et européens. (FM)

 

Fausto Capelli. Per salvare la democrazia in Italia. Éditions Rubbettino. ISBN : 978-8849-85890-7. 406 pages. 16,50 €

 

L’Europe au Kaléidoscope

Cet ouvrage édité par l’ULB en hommage à Marianne Dony, titulaire de la chaire Jean Monnet de droit de l’Union européenne depuis 2009, offre une large compilation multidisciplinaire d’articles consacrés au droit européen. Tel un kaléidoscope réfléchissant un nombre infini d’images, il reflète la grande diversité du droit européen et sa place primordiale dans la vie des justiciables.

Jean-Paul Jacqué, directeur général honoraire au Conseil de l’Union européenne, y propose d’en finir avec les débats sur la méthode, communautaire ou intergouvernementale, en soulignant que les deux méthodes étaient non seulement présentes dès l’origine, mais qu’elles coexistent, s’interpénètrent et se complètent largement. « La méthode communautaire fait aux États, dans la pratique, une place beaucoup plus large que celle que leur octroient les traités et la méthode intergouvernementale a souvent été une voie transitoire vers une intégration complète », estime l’auteur, qui reconnaît toutefois que la méthode communautaire a subi des altérations au fil du temps et que le pouvoir d’initiative, reconnu juridiquement à la Commission, relève davantage du mythe, dans la mesure où elle est souvent amenée à devoir répondre aux « commandes » impératives qui lui sont adressées par le Conseil, le Conseil européen, voire le Parlement européen. « Si l’on se réfère à la Commission, force est de constater que la place centrale que semblent lui conférer les traités n’existe que dans l’esprit des eurosceptiques attachés à contester ‘la dictature de Bruxelles’ », affirme Jean-Paul Jacqué.

Dans un article consacré à la défense de l’État de droit dans l’Union européenne, Ramona Coman, présidente de l’Institut d’études européennes de l’ULB, rappelle que celui-ci repose sur un socle de valeurs et de principes inscrits à l’article 2 du TUE, mais que le mécanisme de l’article 7, qui permettrait de sanctionner un État du fait d’une violation grave de ces principes et valeurs, n’a jusqu’à présent pas pu être employé. Face aux dérives de pays comme la Hongrie et la Pologne, elle constate dès lors un bilan mitigé, en dépit des efforts de la Commission européenne. Elle estime toutefois que « dans un contexte politique incertain marqué non seulement par l’érosion de l’État de droit, mais aussi par la contestation par les gouvernements polonais et hongrois de la légitimité du Parlement européen et de la Commission, la Cour de justice, par ses décisions, a réaffirmé l’importance de l’État de droit comme « pierre angulaire » dans le fonctionnement de l’UE, ainsi que l’importance de l’indépendance de la justice et des valeurs communes ».

Sous le titre « Les noces de porcelaine de l’euro », Philippe Vigneron, inspecteur général honoraire de la Banque Nationale de Belgique, revient sur l’histoire de l’euro et sa résilience, qui n’a cessé de faire mentir ceux qui annonçaient régulièrement sa mort prochaine. L’auteur souligne qu’il est absolument nécessaire d’améliorer la gouvernance afin de mieux prévoir et organiser la coordination des interventions budgétaires et monétaires dans la gestion des crises et que cette réforme se heurte à l’opposition de l’Allemagne et des pays du nord de la zone euro. Et d’ajouter : « Une meilleure gouvernance de la zone passe nécessairement par un approfondissement de l’union bancaire, par un renforcement du MES, ainsi que par des améliorations institutionnelles, comme la possibilité de disposer un jour d’un budget propre à la zone euro destiné à renforcer la convergence des économies des États membres et leur compétitivité et au sein duquel pourrait aussi être activée à terme une fonction de stabilisation et de disposer d’une sorte de parlement de la zone euro afin que des solutions puissent être trouvées au sein d’instances démocratiques propres à la zone. Et ce, à condition que cette instance bénéficie de vrais pouvoirs et ne se contente pas d’être une chambre d’entérinement des décisions déjà prises à l’Eurogroupe et à la BCE ». (OJ)

 

Emmanuelle Bribosia, Nicolas Joncheray, Areg Navasartian, Anne Weyembergh (sous la direction de). L’Europe au Kaléidoscope. Éditions de l’Université de Bruxelles. ISBN : 978-2-8004-1707-3. 515 pages. 56 €

 

Erdogans « Neue Türkei » am Scheideweg

La revue bimestrielle « Südosteuropa Mitteilungen » publie un article de Gülistan Gürbey qui analyse le résultat des dernières élections communales en Turquie, la défaite du candidat de l’AKP à Istanbul et leurs conséquences potentielles sur l’évolution de la « démocratie déficiente » que connaît depuis toujours la Turquie, mais dont les dysfonctionnements ne cessent de s’aggraver avec une tendance autocratique de plus en plus marquée.

L’autrice rappelle qu’une première élection, dont le résultat donnait une victoire, certes de justesse, au candidat de l’opposition CHP, Ekrem Imamoglu, avait été annulée et que celui-ci, avec le soutien du parti kurde HDP, a remporté très largement la deuxième élection organisée à Istanbul, le 23 juin 2019, avec 54% des voix contre 45% à l’ancien Premier ministre AKP, Binali Yildirim. Or, cette défaite est très symbolique du fait de l’importance économique de cette métropole détenue par l’AKP depuis plus de 20 ans, mais aussi du fait de l’engagement personnel très fort du président Erdogan dans la campagne. Certes, l’AKP demeure la première force politique du pays, avec 44,32% des voix lors des élections communales de juin 2018, mais le parti a perdu, outre Istanbul, d’importantes villes dans le sud et l’est du pays, parmi lesquelles : Ankara, Izmir, Antalya, Adana et Mersin.

Ces résultats peuvent-ils marquer un tournant dans la vie politique turque ? Selon Gülistan Gürbey, qui prend soin de rappeler que l’histoire et la culture politique turques sont profondément marquées par le nationalisme et une tradition d’autoritarisme, ils signifient en tout cas que le président Erdogan, son gouvernement AKP et son alliance avec les ultranationalistes du MHP « ont atteint leur zénith ». « Leur monopole du pouvoir est brisé. L’ultranationalisme, la répression et la polarisation comme stratégie (…) ont atteint une limite », ajoute-t-elle, non sans souligner que le régime est, dès lors, à la croisée des chemins (Scheideweg) entre davantage de répression ou une évolution démocratique mesurée. Seul l’avenir, qui restera marqué par des turbulences, nous dira vers quoi le régime s’orientera.

À noter que la revue propose par ailleurs une série d’articles sur les questions de genre et les droits des personnes LGBT dans l’Europe du Sud-Est. (OJ)

 

Gülistan Gürbey. Erdogans « Neue Türkei » am Scheideweg – Die Türkei nach den Kommunalwahlen 2019. Südosteuropa Mitteilungen. 03-04/2019. Südosteuropa Gesellschaft (http://www.sogde.org ). 191 pages. 15,00 €

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