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Bulletin Quotidien Europe N° 12648

2 février 2021
Sommaire Publication complète Par article 29 / 29
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N° 030

La cible

 

Dans ce petit ouvrage qui se lit facilement d’une traite, le député européen Sandro Gozi revient sur les attaques dont il a été la cible lorsque sa candidature a été annoncée en France et sur ses premiers pas au Parlement européen. Citoyen européen, italien et élu en France, l’auteur, qui entend « incarner une nouvelle politique transnationale », souligne que cette ambition se révèle être au quotidien « presque un travail de Sisyphe ». « Un Sisyphe sans dieux, puisque l’Europe de la politique est un continent qui n’a rien de divin, peuplé de nationalistes affichés ou cachés, d’Européens frileux et d’hypocrites de toutes sortes », écrit-il avant d’ajouter un peu plus loin : « Être européen aujourd’hui, c’est comme faire un marathon à contre-courant. C’est déjà très dur de courir pendant 42 km… Si en plus on doit le faire contre le vent, ça devient un défi titanesque ». Et sous cet angle, la France n’a rien à envier à l’Italie, nous explique-t-il, tout en répétant son amour de la France et, de façon redondante, l’estime qu’il porte à son président.

 

« Partout en Europe, comme en France, les résistances nationalistes au changement européen sont très fortes, et pas seulement chez les extrémistes », constate Gozi, avant d’ajouter : « Elles sont diffuses, enracinées dans un mélange d’ignorance, de nombrilisme national et de chasse aux sorcières. Et il ne faut pas aller dans les blogs souverainistes : il suffit de lire quelques quotidiens nationaux. (…) En France, cette résistance au changement se traduit parfois par un rapport hypocrite à l’Europe, véhiculé tant par certains médias que par une partie de la classe politique. On assiste à une conception dépassée de l’État-nation à la fois nostalgique, renfermée et imprégnée de préjugés nationaux ».

 

À lire le catalogue des attaques dont cet ancien secrétaire d’État aux Affaires européennes a fait l’objet en Italie du fait de sa candidature en France, avec leur lot d’appels à la déchéance de nationalité, on ne sait trop s’il faut pleurer sur l’image que la classe politique italienne, aidée par certains médias de la péninsule, donne d’elle-même ou s’il faut (cela a été mon cas) rire de tant de ridicule et de sottise.

 

Mais au-delà des attaques (toujours clairement attribuées) et des anecdotes, Gozi s’attache aussi à défendre ses convictions, parmi lesquelles figure la nécessité de combattre l’immobilisme des Européens frileux, qui est « peut-être plus dangereux que la rhétorique nationaliste ». « Je suis convaincu que le statu quo est le pire ennemi de l’Europe. Les petits pas risquent de nous amener, comme des somnambules, au bord du gouffre. Il faut se battre contre cela ». Aussi, voit-il le Plan de relance et le récent changement d’attitude de la chancelière Merkel comme une chance, y compris pour engager la réforme institutionnelle dont l’Europe a besoin.

 

Une réforme qu’il appelle de ses vœux pour bâtir une Europe-puissance. « Aujourd’hui, nous devons décider de la relation entre Europe et États-Unis et de notre rôle dans le monde », écrit l’auteur, qui affirme : « L’alliance avec les États-Unis reste nécessaire… mais elle n’est plus suffisante ! » « Depuis (pendant aurait été plus juste ici, à mon sens) trente ans, on a vécu une sorte de deuxième période des ‘Trente Glorieuses’ en assistant à l’affirmation croissante de la règle de droit pour gérer les relations internationales et régler les conflits et de l’intégration comme modèle principal de gouvernance régionale. Nous sommes en train d’entrer dans une autre époque : l’âge de fer. Pour moi, l’âge de fer, c’est lorsque les armes priment sur le droit », écrit Gozi qui milite notamment pour une véritable défense européenne. Mais l’Union européenne devrait aussi « réformer en profondeur sa politique économique et sociale, en saisissant ‘l’occasion’ fournie par le nouveau défi de la transition écologique qui est fondamentalement une transition de société ».

 

En même temps, selon l’expression chère à Emmanuel Macron, la « logique de puissance » que soutient Sandro Gozi signifie « faire de l’euro une véritable devise internationale, en commençant par une représentation unitaire de l’union monétaire sur la scène internationale et au sein du Fonds monétaire international ». Elle signifie « revoir la politique de concurrence européenne à l’heure de la mondialisation » en accordant une plus grande considération à la concurrence internationale. En clair, la Commission doit pouvoir cesser de faire des évaluations à court terme, nier les aides publiques, bloquer les fusions, « sous-évaluer les rapports de force réels entre entreprises européennes et concurrents extra-européens, alors que le marché est de plus en plus global ». La pandémie a prouvé notre dépendance et soulevé la question des frontières et du contrôle, rappelle Gozi, non sans constater que « la réponse nationale a échoué et qu’il n’y a pas eu de réponse européenne ». Et d’en tirer les leçons : « Il est donc urgent que l’Union européenne se convertisse à une politique de souveraineté : défense des frontières communes, autonomie sanitaire et de production de médicaments, souveraineté alimentaire, énergétique, économique, commerciale, scientifique… Afin d’échapper au duopole sino-américain, nous devons stabiliser nos approvisionnements énergétiques, promouvoir de grands consortiums de recherche européens et retrouver une autonomie dans le développement des biotechnologies. Ceci signifie aussi nous engager dans une Europe militaire, sans remettre en question l’Otan, mais pour nous donner les moyens d’agir en autonomie là ou nous devons protéger nos propres intérêts géopolitiques ». (Olivier Jehin)

 

Sandro Gozi. La cible. Éditions Saint-Simon. ISBN : 978-23-743-5023-3. 113 pages. 13,00 €

 

Manuel pour une sortie positive de la crise

 

Cet ouvrage a pour objet d’identifier des mesures concrètes pour une sortie de la crise au sens large, puisqu’il s’agit, au-delà de la crise sanitaire, économique et sociale découlant de la pandémie liée au SARS-CoV2, de prendre en compte la crise de la gouvernance mondiale et celle de la biosphère.

 

En s’appuyant sur les contributions d’une vingtaine de personnalités, dont Pascal Boniface (IRIS), François Gemenne (Université de Liège), Hervé Le Bras (EHESS), Robert Sebbag (maladies infectieuses, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière) ou encore Pierre Victoria (Veolia), les auteurs préconisent notamment de : (1) créer dans le cadre du G20 un « Haut Conseil de la résilience » qui serait chargé de l’anticipation et de la gestion des risques environnementaux, sociaux, économiques, sanitaires et cyber ; (2) réorienter les investissements vers les secteurs de l’économie de la vie, qui représentent aujourd’hui, selon les pays, entre 40 et 70% du PIB et des emplois (les auteurs y incluent la santé, l’aide à la personne, l’éducation, la distribution de l’eau, la gestion des déchets, l’énergie propre, le logement, les transports, l’agriculture et l’alimentation, le sport, le numérique, la culture ou encore l’assurance) ; (3) créer un groupe pluridisciplinaire d’experts, chargé de renforcer le lien entre santé et environnement sur la base d’une charte et de l’identification des bonnes pratiques ; (4) lutter contre la pauvreté en faisant de l’éducation – en tenant compte des contextes locaux spécifiques – le levier de la résilience des générations futures. (OJ)

 

Audrey Tcherkoff (sous la direction de). Manuel pour une sortie positive de la crise. Fayard. ISBN : 978-2-213-71786-9. 199 pages. 17,00 €

 

Le monde vu de Moscou

 

Sous ce titre se cache en fait un dictionnaire de la Russie qui tente de décrypter la géopolitique russe, de A comme Abkhazie à Z comme zones grises. Jean-Sylvestre Mongrenier, professeur agrégé d’histoire, docteur en géopolitique et chercheur associé à l’institut Thomas More, y souligne que « la vue-du-monde (ce que les philosophes allemands appelaient la Weltanschauung) de Moscou renvoie aux données fondamentales et forces profondes de cet État-continent : l’immensité des espaces, la longue durée historique, le culte de la derjava (grande puissance, en français) ». « L’omniprésence du discours de l’humiliation, parfois repris avec complaisance en Occident, appelle l’attention sur la profondeur du ressentiment en Russie et la volonté de revanche de la classe dirigeante », écrit l’auteur avant de poursuivre : « Si ce complexe psychologique et les représentations géopolitiques qu’il sous-tend sont largement déconnectés de la vérité historique, sa puissance ne doit pas être sous-estimée. Pour ébranler une telle disposition d’esprit et l’image du monde qui en émane, il faudrait un faisceau de facteurs convergents : crise du modèle économique fondé sur la rente pétro-gazière, affaissement durable de croissance, remise en cause de l’unanimisme politique intérieur. (…) Nous n’en sommes pas là (…). Vladimir Poutine cherche à renforcer ses appuis en Asie pour peser à l’Ouest, où il mène une politique révisionniste hasardeuse qui menace l’architecture paneuropéenne de sécurité. En somme, il n’est pas exagéré de parler d’une nouvelle guerre froide. Avec l’affirmation de la Chine populaire sur la scène internationale et le début de constitution d’un front de puissances révisionnistes, ce conflit pourrait gagner en ampleur. Aussi, les risques et menaces de l’époque appellent-ils le renforcement de l’unité occidentale, ce qui constitue un défi en soi ».

 

Au total, ce dictionnaire comprend 550 entrées, dont bon nombre sont consacrées aux différentes entités administratives et républiques de la fédération, aux pays du voisinage de la Russie et aux relations que celle-ci entretient avec divers pays et régions du monde. On y trouve aussi des articles consacrés à l’autoritarisme patrimonial qui caractérise le système politique russe, au despotisme oriental, à la Garde nationale ou encore à la relation si particulière que les Russes entretiennent avec une histoire aussi sacralisée que falsifiée. Mais l’intérêt de l’ouvrage réside surtout dans la place importante qu’il consacre à l’histoire de la pensée et des penseurs russes. On y rencontre malheureusement non seulement des coquilles et erreurs, qu’une relecture plus soignée aurait permis de corriger, mais aussi des lacunes, notamment concernant l’économie et la recherche, les médias et la communication. Un ouvrage aussi ambitieux aurait sans aucun doute été mieux servi par un travail collectif et multidisciplinaire. (OJ)

 

Jean-Sylvestre Mongrenier. Le monde vu de Moscou – Géopolitique de la Russie et de l’Eurasie postsoviétique. PUF. ISBN : 978-2-130-82515-9. 655 pages. 29,50 €

 

Rethinking the Role of the European Stability Mechanism for Local Communities

 

Dans cet article paru dans The Federalist Debate, Alfonso Iozzo, ancien président de la Cassa Depositi e Prestiti, et Fabio Masini, titulaire de la chaire Jean Monnet sur la gouvernance économique à l’Université Rome III, préconisent d’étendre le recours du Mécanisme européen de stabilité (MES) pour renforcer la résilience des collectivités locales face aux crises. Ils estiment que la pandémie de Covid-19 a modifié la perception des priorités individuelles et collectives sur au moins deux plans : (1) la nécessité de repenser la planification sociale, économique, politique et territoriale pour permettre une réponse plus rapide, plus efficace et plus décentralisée, tout en étant coordonnée, aux chocs exogènes ; 2) le besoin de financer les infrastructures locales essentielles pour permettre aux collectivités locales de réagir aux chocs et défis exogènes.

 

Les auteurs constatent que la centralisation étatique, telle qu’on la connait actuellement, entraîne un sous-financement des collectivités locales. Iozzo et Masini suggèrent que le MES, qui dispose actuellement d’une capacité de prêt de 500 milliards d’euros, soit modifié, pour lui permettre de soutenir, sous la forme de prêts, les investissements de long terme des collectivités locales dans des infrastructures comprenant non seulement les routes, ponts et aéroports, mais aussi les réseaux de communication, l’énergie, le recyclage des déchets, les systèmes innovants de santé et d’hospitalisation, la recherche, la logistique, la mobilité sociale, etc.

 

Le même numéro de la revue contient par ailleurs un vibrant cri du cœur de la secrétaire générale de l’UEF-Hongrie, Eszter Nagy, qui appelle l’UE à cesser de soutenir le régime Orbán. « Actuellement, les fonds de l’UE, en raison de leur mode de distribution centré sur le gouvernement, favorisent principalement l’enrichissement des oligarques proches du Fidesz et renforcent le pouvoir d’Orbán », souligne l’auteur en estimant que l’intention d’établir un lien de conditionnalité au respect de l’État de droit est bonne, mais qu’une autre solution pourrait être de réduire le rôle des gouvernements dans la distribution des subsides européens. Et de conclure : « Le ‘patient hongrois’ est en soin intensif. Mais, dans notre cas, le ventilateur des fonds européens aide notre coronavirus, le régime autoritaire de Viktor Orbán, plutôt que la relance et la convergence de notre pays ». (OJ)

 

Alfonso Iozzo et Fabio Masini. Rethinking the Role of the European Stability Mechanism for Local Communities. The Federalist Debate. Year XXXIII, Number 3, November 2020. http://www.federalist-debate.org

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