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Bulletin Quotidien Europe N° 12745

22 juin 2021
DROITS FONDAMENTAUX - SOCIÉTÉ / Interview femmes
Les droits sexuels et reproductifs « sont des droits humains fondamentaux » qu'il est grand temps de défendre au Parlement européen, insiste Predrag Fred Matić
Bruxelles, 21/06/2021 (Agence Europe)

Après un débat en plénière qui s'annonce houleux, mercredi 23 juin, les eurodéputés seront invités à se prononcer, jeudi 24, sur un projet de rapport appelant à protéger les droits et la santé sexuels et reproductifs (DSSR) des femmes dans l’UE (EUROPE 12715/19). C’est la première fois depuis le rejet inattendu du rapport Estrela en 2013 (EUROPE 10948/8), que le Parlement européen rouvre ce dossier controversé. Le rapporteur Predrag Fred Matić (S&D, croate) a accordé un entretien à EUROPE à quelques jours du vote. (Propos recueillis par Agathe Cherki)

 

Agence Europe – Votre rapport est dense, il compte près de 80 recommandations. Quelles sont vos principales requêtes ?

Predrag Fred Matić – Il s’agit ici de défendre des droits humains fondamentaux. Et je tiens en premier lieu à souligner qu’il n’est pas seulement question dans ce rapport du droit à l’avortement. L’extrême droite et les mouvements anti-genre renvoient sans cesse à cela, mais nous allons beaucoup plus loin. Oui, nous demandons que l’avortement soit dépénalisé dans l’ensemble des États membres (EUROPE 12724/26), mais nous réclamons aussi, par exemple, une éducation sexuelle adaptée pour tous les enfants, en primaire et en secondaire, ou encore l’accès aux traitements de fertilité sans discrimination, notamment vis-à-vis des femmes seules et des couples de femmes. Le rapport aborde également la question de la précarité menstruelle (EUROPE 12731/8) et nous invitons les États à supprimer la taxe sur les protections hygiéniques. En Croatie, par exemple, ces produits sont taxés au même titre que les produits de luxe.

Quant à la Commission, nous attendons d’elle qu’elle nomme un envoyé spécial de l’Union pour les DSSR. Nous savons que les mouvements anti-genre sont aujourd’hui très influents et organisés, nous avons besoin que l’UE traite le sujet au niveau institutionnel. Nous invitons également la commissaire à la Démographie, Dubravka Šuica, à prendre des mesures contre ceux qui instrumentalisent les DSSR au profit de prétendus objectifs démographiques nationaux.

Une « coalition internationale » baptisée « Stop Matić Report » a vu le jour sous l’impulsion de l’organisation anti-avortement Ordo Iuris. Que vous reproche-t-on exactement ?

L’extrême droite et les mouvements anti-genre m’accusent de soutenir et de promouvoir l’avortement. Ce qui est faux. Ce que nous disons ici, c’est que l’avortement doit pouvoir être un choix, que chaque femme a le droit de choisir. Dans les pays où l’avortement est légal et dans ceux où il ne l’est pas, le nombre d’avortements pratiqués est similaire. Mais les avortements pratiqués à l’étranger ou dans la clandestinité présentent des risques extrêmes. 25 millions d’avortements à risque ont lieu chaque année, souvent avec des conséquences mortelles.

En ce moment sur le YouTube croate une vidéo intitulée « Matic veut interdire l’objection de conscience » circule. Pourtant le rapport est très clair là-dessus : il reconnaît que, pour des raisons personnelles, les médecins peuvent invoquer une clause de conscience. Mais cela ne peut pas interférer avec le droit d’un patient à avoir accès aux soins et nous invitons les États et les prestataires de soins de santé à en tenir compte, à s’assurer, par exemple, que, dans un hôpital, au moins un médecin sera en mesure de pratiquer un avortement. Les mouvements d’extrême droite et anti-genre font allégrement circuler de fausses informations sur le sujet, ils tentent de nous intimider. J’ai reçu des mails haineux me comparant à Hitler, une pétition contre le rapport a été lancée... Ils concentrent le débat sur la question de l’avortement, parce qu’ils ne veulent tout simplement pas parler des droits et de la santé des femmes.

Vous soulignez le fait que les personnes LGBTI peuvent rencontrer de grandes difficultés en matière de DSSR en raison de lacunes dans les programmes d'éducation sexuelle et vous appelez donc les États à élaborer des programmes tenant compte de la diversité des orientations sexuelles et de genre. Le Parlement hongrois vient justement d’adopter des dispositions interdisant cela (EUROPE 12743/24)…

C’est précisément pour éviter d’en arriver là que nous avons besoin, à l’école, d’une éducation sexuelle qui prône l’inclusivité et la diversité des genres. Ils s’opposent à cela au motif que ce serait contraire aux valeurs de l’Église. Mais l’Église et la vie civile ne devraient pas être en confrontation. Si vous voulez aller à l'église, vous pouvez aller à l'église, et cela n’empêchera pas, à l’école, d’avoir des cours d’éducation sexuelle.

Pour moi c’est incompréhensible que des pays membres de l’UE, qui plus est des pays qui ont vécu sous le communisme pendant des dizaines d’années, prônent des valeurs dignes d’un autre siècle.

Je condamne bien sûr ce qu’il se passe en Hongrie.

Ce rapport n’est pas contraignant, il n’aura pas de conséquences directes pour les États. Qu’est-ce que son adoption pourrait apporter ?

Nous avons besoin d’avoir une position officielle du Parlement européen qui soit enfin progressiste sur cette question. Cela montrera que l’UE, elle, a les yeux tournés vers l’avenir, qu’elle n’entend pas suivre ceux qui veulent vivre dans le passé. C’est aussi pour cela que ce rapport est important.

Presque dix ans après le rapport Estrela, nous verrons si le Parlement vit au 21e siècle ou non ! Mais, évidemment, il ne sera contraignant pour personne ; la santé demeure une prérogative des États membres. Ce n’est qu’un appel, mais c’est un appel fort. Et c’est aussi une réponse aux mouvements anti-genre qui prennent de l’ampleur dans l’UE.

Êtes-vous confiant quant à l’issue du vote ? Pensez-vous que, malgré ces tendances, le Parlement soit plus progressiste qu’en 2013 ?

Je pense que certaines tendances ont effectivement changé, en interne au Parlement. Nous avons appris à mieux connaître les opposants et les mouvements anti-genre et nous nous rendons compte que leurs intentions, en plus d’être motivées par des raisons personnelles, sont également dangereuses pour la santé et les femmes dans toute l'UE.

Pour ce qui est du vote, j’espère que le rapport sera adopté à une large majorité. Nous aurons le soutien de la gauche, bien sûr. L’extrême droite votera contre, évidemment.

Et nous attendons encore de voir ce qu’il se passera avec les députés du PPE. Nous espérons qu’ils nous soutiendront, c’est difficile à dire à ce stade.

Comme en 2013, le groupe CRE présentera une résolution alternative, le PPE aussi. Cela risque-t-il à nouveau mettre en péril l'adoption du rapport ?

Nous n'avons toujours pas de texte officiel sous les yeux, je ne peux donc commenter les résolutions alternatives que de manière générale. Nous ne soutiendrons bien sûr aucune d'entre elles, car le texte que nous avons proposé est le résultat de plusieurs mois de travail et englobe tout ce qui nous semble pertinent et nécessaire pour garantir un accès universel aux DSSR.

Le PPE doit faire un choix : soit il se range à nos côtés pour créer une Union égale où tous les individus ont accès aux soins de santé, soit il laisse les femmes à la traîne.

Une UE de la santé pourra-t-elle vraiment voir le jour tant que l’on aura de telles crispations au sujet de la santé des femmes ?

J’espère en tout cas que l’on ira vers une politique commune en matière de santé, cela réglerait beaucoup de problèmes. La crise de la Covid-19 nous a montré à quel point cela était nécessaire. Et l’accès aux soins de santé – tous, sans exception – est un droit fondamental.

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